Vie facile au sein d’une famille facile dans une ville facile. Ouais, on peut dire que j’ai eu de la chance. On ne choisit pas sa famille, mais je pense que si j’avais pu choisir, j’aurai choisi celle que j’ai eu. Je m’appelle Billy Bailey et j’ai grandi avec mes parents et ma grande soeur. Sara, c’est le genre de fille que tu ne regardes pas vraiment, dont tu ne fais pas réellement attention. Et c’est ce qu’elle a vécu pendant toute son enfance. La fille transparente dont personne ne se souvient. De mon côté, j’ai longtemps été le cliché du jeune garçon chiant qui n’en fait qu’à sa tête et qui préfère jouer aux jeux vidéos que regarder les belles filles dans la rue. Je trouvais le sexe féminin nul et sans intérêt. Pour moi, elles ne parlaient que de choses futiles, de maquillage et de vêtements. Et même si Sara ne parlait pas vraiment de ça, je la classais dans la même catégorie. Je n’avais pas vraiment d’amis proches, je traînais avec un groupe de garçons de mon âge mais, en y réfléchissant aujourd’hui, je n’aurais pu compter sur aucun d’entre eux.
Mes parents ne croulaient pas réellement sous l’argent, mais ils savaient se débrouiller en ne dépensant pas honteusement pour n’importe quoi. Sara et moi, nous le savions et l’une de nos qualités était de ne pas réclamer quoique ce soit. Alors, le jour où papa nous a tendu un paquet cadeau un 25 décembre au matin, tout sourire, et qu’il s’est avéré être la technologie la plus récente, nous avons sauté de joie. Un EVER ! Qui l’aurait cru ? Et un chacun, qui plus est ! Oui, il s’agit d’un très beau souvenir. Sara allait enfin pouvoir se mettre à la hauteur de ses camarades, et moi j’allais pouvoir crâner devant mes copains.
*
Cette technologie était vraiment super pratique. En avoir un à mon âge, à 14 ans, était carrément chanceux. Et puis, un jour, le fameux jour dont tout le monde se souvient, la célèbre notification est arrivée. Je me souviens que ma soeur s’était clairement moquée de moi.
« - Ah ! Je le savais. Tu t’es chopé un bon gros virus. Ça t’apprendra à aller mater des sites pour adultes !
- N’importe quoi, j’ai rien fait. Je sais très bien que j’ai pas le droit. Tiens, passe-moi le tien, faut que j’appelle un pote.
- Tss. Attends… Eh mais… Merde, c’est quoi ce bordel ? Je l’ai aussi…
- Alors comme ça on zieute des bons sites aussi à ce que je vois, frangine !
- Ferme-la un peu… »On en riait au début. Et puis on en a moins ri quand on a compris que la totalité des personnes qui possédaient un EVER vivaient la même chose étrange. Ce qui s’est passé, personne n’avait pu le prévoir. Il y en avait eu, des prédictions. Mais pas celle-là. Pas cet enfer.
Parce que oui, j’ai d’abord cru à un cataclysme. À l’apocalypse. À la fin du monde. Tout notre monde avait disparu. Nos parents n’étaient plus là. Nous étions entourés d’inconnus, dans un lieu totalement inouï. Le ciel était… Est-ce que les gens avaient au moins vu le ciel ? La plupart pleurait, criait, d’autres riaient. Je ne savais plus où me mettre. Sara était à mes côtés, ses yeux étaient inondés de larmes. Et pour la première fois, je l’ai prise dans mes bras.
À ce moment là, que tu sois la personne la plus forte qui puisse exister, peu importe. Voir tous ces gens dans cet état, voir autant de folie, ça te fout les boules. Ça te détruit de l’intérieur.
Mais ce n’était rien comparé à la sensation ressentie après l’apparition d’Aris. Incompréhension, désarroi, surprise, pendant le discours. Puis terreur, effarement, cri, haine, rage. Je me souviens m’être pris les cheveux dans mes mains. Je ne souhaitais rien d’autre que me réveiller de cet atroce cauchemar. Et puis… Sara m’a redonné l’envie de vivre une nouvelle vie. Une vie après la mort. Car…
« Notre vie, telle que nous la connaissions est terminée, nous sommes morts. »*
Un petit groupe s’est formé et tous suivaient Sara Bailey, la grande meneuse. Durant des jours, nous avons choisi de déambuler et de découvrir ce nouveau monde. Au début, je ne lâchais pas la main de Sara. D’un humble pré-adolescent sans peur de 14 ans, j’avais régressé à un enfant apeuré qui ne souhaitait qu’une chose : revoir sa maman. Mais telle était notre vie désormais. Nos parents avaient disparu. Jamais je n’avais pensé à ma mort, jamais je n’avais pensé à tout ce qui s’en suivrait. Je… J’étais perdu. Complètement à l’Ouest. Mais Sara était là pour me guider. Pour nous guider, tous. Elle était devenue comme… extra-lucide. Comme si elle savait tout, comme si tout ce qu’elle entreprenait n’avait plus aucune conséquence.
Et puis l’immense montagne Myria s’est offerte à nous. Notre nouvelle maison. Elle était magnifique.
Les jours passèrent et mes soucis s’envolèrent, ma tristesse s’évapora. Tout était clair comme de l’eau de roche. Je pouvais faire tout ce que je souhaitais. Je n’avais plus aucune limite.
Grâce aux EVER modifiés, nous créons nos bâtiments, villes et maisons. Je pris la décision de créer une immense piste de danse ainsi qu’une estrade haute de 3 mètres surplombant toute la scène. Le DJ s’installerait ici. Et vous savez quoi ? Le DJ se sera moi. C’est ce que je leur ai dis, à tous. Et vous savez quoi ? J’ai tenu ma parole. Je suis aujourd’hui le DJ le plus réputé de Myriapolis.
Nous avons décidé de dire adieu à notre vie d’avant et de nous donner un nouveau nom. Alors, Sara devint Oryx, son animal préféré, majestueux et solitaire. Je devins Ange. Mort, blanc comme neige, impartial et libre.
Clairement, notre vie était parfaite. Nous ne pouvions rêver mieux. Encore plus quand l’Euphoria qui coulait à flots dans les roches de Myria fut dénichée. Tout était merveilleux. Elle nous rendait la vie encore plus rose, encore plus belle. Et les Rossini et leurs lois ne nous touchaient pas. Nous étions invincibles. Morts. Immortels.
Immortels, vraiment ?
*
La Bête. Cet infâme monstre sanguinaire est apparu dans la cité mère. Jordisk. Je n’avais jamais vu autant de flaques rouges, autant de personnes au regard vide, autant de membres éparpillés. Immortels ? Non. Eux, là, tous ceux-là, couchés au sol, ils étaient morts. Une fois de plus. Notre vie après la mort était à nouveau mortelle. Nous n’étions pas les rois. Sara avait beau crier à tout le monde qu’il n’y avait pas de danger, les cris perçaient mes oreilles. Et, dans mon esprit, je me retrouvais malgré moi durant ce premier jour d’horreur. Celui où je voulais revoir ma mère. Encore là, je voulais la revoir. Trois ans après.
Je ne bougeais plus, au milieu d’un champ de corps criants. Jusqu’à ce que le bras de Zed, le plus fidèle ami de ma soeur, disparut dans la gueule de la Bête. Un cri, le trou noir. Je ne me souviens de rien.
Quand je me suis réveillé, la douleur me transperçait le crâne, j’étais recouvert de sang. Zed était à moitié vivant, un bras en moins. Et… Plus aucun signe de Sara. Elle avait disparu. Personne ne savait où elle était.
Les recherches fusèrent dans toute la montagne et même au-delà mais aucune nouvelle. Après trois mois, Zed décida d’arrêter les recherches.
« - C’est ta soeur, je sais. Mais on doit aller de l’avant. Ça fait trois mois. Que veux-tu que je te dise ? Elle est morte !
- Tu mens. Elle peut pas mourir.
- Et tous ces cadavres qu’on a inhumé pendant des jours, ils n’étaient pas morts ?
- Ferme-la. Elle peut pas mourir. J’ai plus qu’elle. Elle peut pas.
- Ange… Je… Je suis désolé. »Aucun mot ne pouvait décrire ce que je ressentais. Les mois qui suivirent ne furent que décadence, mensonge et pleurs. Une statue en sa mémoire fut créée sous mes ordres avec interdiction formelle de la toucher sous peine de bannissement de Myria. Zed devint le chef des Noctis puis décida de former les survivants au combat. Une telle perte ? Un nouveau Jour Noir ? Il en était hors de question. Je devins alors responsable des Crazy Diamond, place qu’occupait Zed autrefois, quand tout était parfait.
Aujourd’hui, je me sens un peu mieux. Je suis redevenu comme avant. Je souris, je m’éclate, je danse. Oui, c’est tout-à-fait ce que je souhaite laisser paraître.
En vérité ? Je suis détruit. Et jamais je ne vivrai à nouveau.